Journée d’étude à l’occasion du centenaire de la mort de Paul Mansion. Des mathématiciens face à la Crise Moderniste

L’année 2019 marque le centenaire de la mort de Paul Mansion (1844-­‐1919) qui fut pendant presque cinquante ans professeur d’analyse à l’Université de Gand. Si Mansion est aujourd’hui un mathématicien un peu oublié, il fut au tournant du 20ème siècle un personnage influent sur la scène mathématique, un des académiciens bruxellois les plus prolifiques et un actif directeur de la revue Mathesis qu’il avait contribué à faire émerger. Une des plus grandes particularités de ce mathématicien est d’avoir été au centre d’un réseau différent de ceux habituellement étudiés dans la période mentionnée, un réseau très marqué par ses forts liens avec la sphère catholique. Au moment où sous l’impulsion du pape Léon XIII l’église catholique était confrontée à la crise moderniste, des mathématiciens en nombre non négligeable participèrent en effet à l'émergence d’un discours scientifique spirituel qui trouvait un lieu d’expression dans les congrès des savants catholiques des années 1890 à 1910 (auxquels Mansion participa d’ailleurs activement). L'originalité fut moins l’appartenance de tel ou tel mathématicien à une confession religieuse, qu’un véritable mouvement intellectuel, porté à la fois par des bouleversements scientifiques comme le questionnement du déterminisme en biologie (Darwin) ou en physique (mécanique statistique de Maxwell et Boltzmann) et par les évolutions sociales, notamment en France autour de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce centenaire de la mort de Mansion nous a ainsi semblé un moment symbolique bien choisi pour regarder de plus près comment au début du 20ème siècle des mathématiciens de l’espace francophone (qui donne l’avantage d’être à la fois assez limité mais comprend des pays aux traditions socio-­politiques très différents comme le sont Belgique, France et Suisse) ont pu chercher de façon concomitante une forme d’engagement spirituel et scientifique. Nous proposons donc l’organisation d’une journée d’étude qui veut notamment tenter de comprendre, à travers des études de cas, comment la recherche mathématique a pu, çà et là, être pour ces scientifiques un point de contact avec leur engagement religieux. A notre connaissance, aucune étude systématique ne semble avoir été menée sur cette question. Un tel objectif nous semble de ce fait novateur et intéressant pour avoir un tableau plus complet des circulations scientifiques au tournant du XXe siècle.

 

Programme

9h30-10h15

Pauline Romera-Lebret (Laboratoire GHDSO, Paris) pauline.lebret@gmail.com

Paul Mansion, homme de presse et diffuseur de sciences

Paul Mansion a participé à la création ainsi qu'à la vie éditoriale de deux revues belges de mathématiques intermédiaires : la Nouvelle Correspondance Mathématiques, créée en 1874 avec Eugène Catalan et arrêtée en 1880 puis Mathesis créée en 1881 avec Joseph Neuberg. Il s'agira d'abord de montrer la continuité éditoriale qui existe entre ces deux revues et leurs places dans le paysage éditorial belge. Le rôle de diffuseurs de sciences Mansion, en particulier dans la Nouvelle Correspondance Mathématiques, sera ensuite exposé. En effet, sur les six tomes de la N.C.M., Paul Mansion a publié 26 articles signé de son nom, et a fourni 27 articles d’après des écrits d’autres auteurs.  Nous verrons la place de ces reprises dans le contenu éditorial de cette revue mais aussi dans la production personnelle de Mansion.

 

10h15-11h00

Laurent Mazliak (Université Paris-Sorbonne) laurent.mazliak@upmc.fr

Mansion, probabiliste belge et catholique

Pendant toute sa carrière, Paul Mansion a montré un intérêt particulier pour le calcul des probabilités, qui n’était pas a priori au centre de ses préoccupations mathématiques. Cette curiosité pour les mathématiques de l’aléatoire trouvait ses racines dans une alliance originale: une exceptionnelle présence de la discipline dans l’environnement scientifique belge du moment et la perception d’un usage des probabilités dans une réflexion sur le monde compatible avec la foi catholique. L’exposé s’attachera à donner des éléments sur ces points et sur les réflexions de Paul Mansion sur la juste interprétation du hasard.

 

11h00-11h30 Pause café

 

11h30-12h15

Jean-François Stoffel (Haute école Louvain-en-Hainaut, Montignies-sur-Sambre)   stoffeljf@helha.be

Quand l’apologétique se contente de l’existence d’une science de qualité reconnue par tous: les mathématiques et les mathématiciens au sein de la Société scientifique de Bruxelles (1875-1914)

Comme en témoigne sa devise, la Société scientifique de Bruxelles a été fondée, en 1875, avec la conviction qu’il ne saurait y avoir de conflit réel entre science et foi. Est-ce à dire qu’elle a développé, dans ses deux organes que sont la « Revue des Questions Scientifiques » et les « Annales de la Société scientifique de Bruxelles », une apologétique explicite basée sur les mathématiques, ou même sur l’histoire des mathématiques, comme elle semble l’avoir fait, durant une partie de son histoire, à partir d’autres disciplines ? À moins que ce soit le geste des mathématiciens publiant dans ses organes qui ait constitué, en lui-même, un acte militant contre la prétendue incompatibilité entre esprit scientifique et convictions religieuses.

 

12h15-13h00

Guillaume Jouve (ESPE Lille, Nord de France, Rossana Tazzioli (Université de Lille)

guillaume.jouve@univ-lille.fr; rossana.tazzioli@univ-lille.fr

La place des mathématiques dans les Congrès scientifiques internationaux des catholiques (1888-1900)

Les Congrès scientifiques internationaux des catholiques ont eu une place importante dans l'espace intellectuel catholique de la fin du XIXe siècle, surtout pour ce qui concerne le débat autour de la théorie de l'évolution. Cependant, les mathématiques occupent également une place non négligeable dans la section consacré aux sciences dans les Actes de ces cinq congrès (Paris 1888 et 1891; Bruxelles 1894; Fribourg 1897; Munich 1900). Dans cet exposé, nous présenterons d'abord le contexte historique et intellectuel dans lequel se tiennent ces congrès. Puis, nous nous attarderons sur les mathématiques communiquées, enessayent de cerner la nature du sujet, les auteurs et les éventuelles controverse sous-jacentes.

 

13h00-14h30 Déjeuner

 

14h30-15h15

Geert Vanpaemel (KU Leuven)   geert.vanpaemel@kuleuven.be

Science, religion et néothomisme à l’Université catholique de Louvain

En érigeant l’Université catholique de Louvain, les évêques belges prirent soin de définir le rôle des sciences dans la nouvelle institution. Ils préconisèrent les professeurs  d’enseigner non pas « les nouveautés profanes qui souillent l’intégrité de la foi », mais « la science, qui édifie avec charité », ou, reprenant les mots du Pape Grégoire XVI, « non la sagesse du siècle, mais la sagesse dont la crainte du Seigneur est le commencement ». En particulier, les sciences modernes furent présentées comme la source de beaucoup de confusion « dont le dernier résultat serait de jeter le monde dans un doute universel et dans une indifférence complète ». Montrer l’accord parfait entre la foi et la science et souligner le caractère essentiellement catholique de la vraie science fut ainsi la mission de la Faculté des Sciences de la nouvelle université. Mais l’évolution des sciences ne tarda à poser de nouveaux défis. Les questions de cosmologie, l’émergence du positivisme et la grande popularité des doctrines évolutionnistes, furent à l’agenda de la faculté des sciences.

Dans une autre perspective, le jeune professeur de philosophie Désiré Mercier, encouragé par l’Encyclique Aeterni Patris du pape Léon XIII, fonda en 1889 l’Institut Supérieur de Philosophie. L’ISP se proposa de fournir à la science moderne un fondement philosophique en accord avec les doctrines néothomistes. Pour cela, Mercier envisagea un programme de cours spécialisés couvrant toutes les discipline scientifiques, notamment dans les domaines des « sciences du monde inorganique » et des « sciences biologiques et physiologiques ». Il chercha à associer plusieurs professeurs de la Faculté des Sciences à l’Institut.

Les réactions au sein de l’université et en particulier dans la faculté des sciences furent pas toutes favorables. Dans notre présentation, nous proposons de comparer les idées de Mercier avec les interprétations diverses de ce que c’est une science catholique, mettant en particulier l’accent sur les contributions des mathématiciens louvanistes (Gilbert, Pasquier et Sibenaler) aux travaux de l’Institut Supérieur.

 

15h15-16h00

Alain Bernard (ESPE de Créteil, Centre Koyré)   alainguy.bernard@gmail.com

Le réseau chrétien moderniste mobilisé par Borel au lancement de la « revue du mois »

Le deuxième article de la toute première livraison de la « Revue du Mois » que Borel fonde en 1905-6, à un tournant crucial de sa carrière scientifique et politique, porte sur l’enseignement de la morale laïque, un sujet politiquement très sensible à l’époque. Rédigé par Alfred Croiset, alors doyen de la faculté des lettres dans la Sorbonne nouvelle et dont les sympathies républicaines et radicales sont nettement marquées, cette publication annonce d’emblée la « couleur » des futurs engagements politiques de Borel. La correspondance entourant cette publication indique pourtant que Borel comptait sur cet article pour ouvrir un débat sur l’enseignement de la morale, et qu’il a mobilisé pour cela un réseau chrétien progressiste. Je propose d’examiner les enjeux de cette démarche, en montrant qu’elle ne se limitait pas à la recherche intéressée de nouveaux contributeurs à la Revue du Mois en vue d’augmenter son renom. Elle avait aussi pour Borel des répercussions sur le plan épistémologique et politique, qui touchaient à sa conception des probabilités et de leur importance pour la prise de décision individuelle ou collective.

 

16h00-16h30 Pause café

 

16h30-17h15

Discussion générale

 

 

Dates: 
ven 15 nov 2019 09h30 - 17h30
Lieu: 
Salle Duhem
Organisateurs: 
G. Jouve, L. Mazliak, R. Tazzioli